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Le passé éclaire le futur

Ingmar Bergman parle de Strindberg (et de lui) 10 septembre 2009

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Comment Ingmar Bergman manipule mine de rien une journaliste l’entretenant d’August Strindberg. Une véritable leçon de cinéma !

Ingmar Bergman parle d'August Strindberg

Ingmar Bergman parle d'August Strindberg

Affaibli par l’âge et cinquante ans de réflexion sur les méandres de la personnalité humaine, Ingmar Bergman, n’en reste pas moins d’une rare vivacité intellectuelle quand il s’agit de commenter le lien indéfectible qui le rattache à son maître théorique, sa référence ultime, le dramaturge de renom et initiateur de la modernité théâtrale européenne : August Strindberg.

Reprenant, avec une élégance teintée de malice, la journaliste lorsqu’elle prononce, selon lui, un peu maladroitement le prénom de son Maître, Ingmar explique de sa voix douce et un peu tourmentée que Strindberg a toujours fait parti intégrante de sa vie et de ses réflexions sur la mise en abîme de la psyché individuelle.

Bergman, on le savait rigoureux, exigeant dans sa direction d’acteur, on constate qu’il est tatillon jusque dans le rituel un peu éprouvé des traditionnels entretiens. Mais que peut bien cacher cette touchante maniaquerie de génie isolé ?

La dernière minute de cette confession nous le révèle. Bergman a rêvé de Strindberg. Et dans ses songes vaporeux, Strindberg l’a appelé et lui a donné rendez-vous sur la promenade Karlavägen dans Stockholm. Ils se connaissent bien. Bergman habite là où Strindberg vécut au 10 Karlaplan.

Mais, de quoi Bergman lui a-t-il parlé ? De son œuvre ? Non. De l’admiration qu’il lui porte depuis son plus jeune âge ; pas davantage. Il avoue que sa compréhension des œuvres du maître est instinctive, organique, donc pas de vaine dissertation sur le sens de telles ou telles répliques… Son prénom, bien prononcer son prénom. Voilà ce qui obsède cruellement le nonagénaire enivré par le charisme de l’auteur de « Mademoiselle Julie » lorsque les deux hommes se croisent dans l’autre monde.

Ainsi, la mauvaise élocution de l’intervieweuse – si regrettable, au point de demander que la prise soit refaite – fait naitre une énigme sous nos yeux que nous rêvons d’élucider, avant de parvenir à la jouissance d’une clarification tant attendue que le cinéaste fait subtilement advenir au fil de la conversation, telle la clef enfin retrouvée d’une éventuelle problématique cinématographique. Bergman manipule brillamment la journaliste et nous, spectateurs, par extension.

Que cache ce jeu ? Le désir de Bergman de mettre en scène sa vie, y compris une interview qu’il n’est pas sensé diriger. Laver, par transfert, l’affront du patronyme mal prononcé qu’il a probablement vécu dans les festivals et autres rencontres autour du monde ? Ou bien, restaurer un talisman, comme si en écorchant le prénom, la journaliste empêchait le pacte secret de se nouer entre August et Ingmar. Je vous laisse spéculer.

Bergman cinéaste jusqu’au bout des ongles ? Oui, assurément.

 

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